283W - Commissariat régional de la République à la Libération

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Commissariat régional de la République.

Cote/Cotes extrêmes

283W 1-283W214

Date

1939-1950

Organisme responsable de l'accès intellectuel

Archives du département du Rhône et de la métropole de Lyon

Importance matérielle

10 ml

Origine

Commissariat régional de la République

Biographie ou Histoire

Une institution éphémère

D'après Yves Farge, le statut des commissaires régionaux de la République est l'œuvre du Comité général d'étude (CGE) qui, dès 1942, préparait dans la clandestinité les principaux textes sur le rétablissement de la légalité républicaine et la réorganisation des pouvoirs publics après la Libération (Y. Farge, Rebelles, soldats et citoyens : carnet d'un commissaire de la République, Paris, Bernard Grasset, 1946, p. 13). Cet organisme fondé par François de Menthon réunissait des personnalités de la Résistance comme Pierre-Henri Teitgen, Paul Bastid, Pierre Courtin, Michel Debré, Robert Lacoste, Alexandre Parodi et René Brouillet, lequel proposa le titre de commissaire de la République. Le travail du CGE fut approuvé par le Comité français de la Libération nationale qui édicta lordonnance du 10 janvier 1944, publiée au Journal officiel de la République le 6 juillet et applicable dans chaque région après sa libération. L'idée maîtresse de ce texte était de placer à la tête de chaque région un personnage administratif et politique à la fois, disposant des attributions les plus étendues, capable même sans directives de gérer des services, de réorganiser la justice, de maintenir l'ordre, de représenter la France en face d'une armée étrangère (M. Debré, Un grand mouvement préfectoral, épisode de la Résistance, dans les Cahiers politiques, février-mars 1946, cité par Pierre Doueil dans L'Administration locale à l'épreuve de la guerre (1939-1949), Paris, Sirey, 1950, p. 39). Malgré une certaine réticence d'une partie des milieux de la Résistance à prolonger l'expérience vichyssoise de la préfecture régionale, le législateur d'Alger a choisi de la maintenir en la rebaptisant, afin de pouvoir faire face à la situation chaotique qui allait nécessairement résulter de la libération du pays. Cette solution permettait d'éviter les bouleversements supplémentaires qu'aurait provoqué une réforme administrative profonde.

Le texte divise le territoire de la métropole en commissariats régionaux de la République correspondant en principe aux organisations de fait dites préfectures régionales. Par un décret du 27 juin 1944, la région Rhône-Alpes, ainsi dénommée par Yves Farge et ses compagnons dès avant sa Libération (Y. Farge, Rebelles, soldats et citoyens : carnet d'un commissaire de la République, Paris, Bernard Grasset, 1946, p. 50), est amputée de la Saône-et-Loire et du Jura rattachés au commissariat régional de Dijon. Son ressort s'étendait ainsi sur huit des dix départements de l'ancienne région de Lyon : Ain, Ardèche, Drôme, Isère, Loire, Rhône, Savoie et Haute-Savoie.

Les pouvoirs des commissaires sont désignés de façon extensive par l'ordonnance du 10 janvier 1944. Ils sont essentiellement chargés, sous réserve des pouvoirs dévolus à l'autorité militaire, de prendre toutes mesures propres à assurer la sécurité des armées françaises et alliées, à pourvoir à l'administration du territoire, à rétablir la légalité républicaine et à satisfaire aux besoins de la population. Outre les attributions héritées des préfets régionaux, ils sont munis de pouvoirs exceptionnels d'ordre législatif, judiciaire et exécutif qui leur sont délégués par l'autorité centrale jusqu'au rétablissement complet des communications. Ces pouvoirs quasi gouvernementaux les autorisent à:

- suspendre l'application des textes législatifs et réglementaires,

- ordonner toute mesure pour assurer le maintien de l'ordre, le fonctionnement des administrations, des entreprises privées et la sécurité des armées françaises et alliées,

- suspendre de leurs fonctions élus et fonctionnaires,

- suspendre l'application de toute sanction pénale ou poursuite judiciaire,

- faire procéder à toute opération de police judiciaire,

- bloquer tout compte privé,

- et employer ou réquisitionner toute personne, tout service ou tout bien.

L'exercice de ces pouvoirs exceptionnels a pris fin à la suite d'une décision du conseil des ministres du 13 octobre 1944 qui constate le rétablissement des communications.

Les décisions des commissaires de la République doivent prendre la forme d'arrêtés dont la publication et l'affichage sont obligatoires. C'est l'origine du Journal officiel du commissariat de la République (région Rhône-Alpes) dans lequel seront les arrêtés du commissaire, puis à partir d'octobre 1944 les principaux textes législatifs et réglementaires du gouvernement provisoire.

En matière d'organisation administrative, le texte indique simplement que les services qui relevaient des préfets régionaux sont placés sous les ordres des commissaires de la République. L'ordonnance du 3 juin 1944 qui supprime officiellement les préfets régionaux précise que les commissaires sont assistés d'un directeur de cabinet, d'un secrétaire général pour la police et d'un secrétaire général pour les affaires économiques et le ravitaillement qui viennent remplacer les directeur de cabinet, intendant de police et intendant des affaires économiques des préfets régionaux. Une autre ordonnance du 7 juillet 1945 établit les règles de recrutement des membres du secrétariat administratif des commissaires de la République. Celui-ci doit être composé:

- d'un directeur de cabinet ayant rang de sous-préfet de première classe,

- d'un chef de cabinet pouvant avoir rang de sous-préfet de deuxième ou troisième classe,

- de chargés de mission temporaires choisis pour leurs connaissances et compétences particulières et engagés par contrat de trois mois renouvelables,

- de fonctionnaires du cadre national des préfectures et des auxiliaires dÉtat.

Après une année d'existence, l'institution est réformée par l'ordonnance du 24 octobre 1945. Dans un long exposé des motifs, sont analysées les faiblesses de l'ordonnance du 10 janvier 1944 qui cantonnait les commissaires de la République aux attributions des préfets régionaux limitées aux domaines de la police et des affaires économiques. Le nouveau texte entend renforcer l'autorité du commissaire sur les services régionaux dont les compétences étroitement divisées et limitées se heurtent perpétuellement, faisant jaillir des conflits particulièrement préjudiciables à la bonne marche des services qu'il importe d'arbitrer de très haut. Le commissaire de la République, officiellement reconnu comme le représentant du gouvernement dans sa région, doit être un animateur, un coordonnateur et un contrôleur des actions menées par les préfets et les chefs de services régionaux. Dans cette optique, il reçoit obligatoirement communication :

- des ordres et instructions adressés par les ministres aux préfets et chefs de services régionaux,

- des décisions, rapports et comptes rendus adressés par les préfets et chefs de services régionaux aux ministres.

Il peut, en cas durgence et quand l'ordre public l'exige, substituer ses décisions à celles des préfets et des chefs de service régionaux et suspendre un fonctionnaire de lÉtat ou d'une collectivité publique.

En ce qui concerne les services rattachés aux commissaires, le nouveau texte vise à éviter les cabinets pléthoriques doublant par leur action souvent inefficace les services spécialisés. Le cabinet, dont la composition est fixée par décret, doit être une formation légère répondant aux nécessités animatrices de la mission du commissaire. En outre, les attributions des deux secrétaires généraux sont précisées. Le secrétaire général pour les affaires économiques assure la liaison avec tous les organismes relevant du département ministériel économique. Le secrétaire général pour la police est chargé d'administrer le personnel et le matériel de la police régionale afin de mettre cet instrument toujours en mesure de répondre immédiatement aux décisions d'emploi prises par le commissaire régional responsable du maintien de l'ordre.

Malgré l'originalité de cette réforme dans laquelle on peut lire un projet précoce de déconcentration administrative, l'institution n'a pas résisté à l'offensive conjointe de la nouvelle Assemblée constituante et des conseils généraux élus à l'automne 1945. L'origine vichyssoise des commissaires régionaux et la méfiance des élus à l'égard de hauts fonctionnaires exerçant leur autorité sur des territoires beaucoup plus vastes que les circonscriptions électorales sont les principaux motifs du vote de la loi du 26 mars 1946. Celle-ci supprime les commissariats de la République ainsi qu'un certain nombre de services à compétence régionale. Par un décret d'application du 30 avril 1946, tous les pouvoirs particuliers conférés aux commissaires régionaux de la République par un texte législatif ou réglementaire sont transférés aux préfets.

Les derniers mois de clandestinité

Si les archives ici décrites ne témoignent que très peu des quelques mois d'existence clandestine du commissariat de la République de la région Rhône-Alpes, le rappel des principaux faits qui ont jalonné cette période savère indispensable à la compréhension du fonctionnement ultérieur de l'institution (les principales sources que nous utilisons pour évoquer cette période sont les souvenirs d'Yves Farge lui-même: Rebelles, soldats et citoyens : carnet d'un commissaire de la République, Paris, Bernard Grasset, 1946, et sa biographie par Claude Morgan: Yves Farge, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1995).

D'après ses souvenirs, c'est en avril 1944, dans un café du Trocadéro, qu'Yves Farge reçut de Michel Debré deux notes, la première l'assurant de sa nomination comme commissaire de la République et la seconde lui donnant pouvoir de nommer les préfets de la région qu'il allait administrer jusqu'à sa démission en septembre 1945.

Journaliste, mais aussi peintre et historien d'art, Farge apparaît comme un administrateur atypique par rapport à ses collègues dont un tiers était issu de la haute fonction publique (Jacqueline Sainclivier, Le pouvoir résistant, dans Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994, p. 24). C'est en fait à son rôle actif dans la Résistance et à son passé lyonnais qu'il devait sa position. Son expérience de journaliste au Petit Dauphinois, à la Dépêche Dauphinoise et au Progrès de Lyon lui avait procuré une bonne connaissance de la région et un réseau de relations étendu. Mais surtout, sa fidélité à la cause de la Résistance était indéniable. Membre du Front national depuis 1941, il a contribué à l'organisation du maquis du Vercors et présidé le Comité d'action contre la Déportation (CAD) tout en continuant son activité de journaliste à Franc Tireur et au Père Duchesne. Son indépendance politique joua peut-être aussi en sa faveur. De sensibilité socialiste, il avait rompu avec la SFIO en 1938 à la suite des accords de Munich et, malgré son rapprochement du parti communiste à partir de 1948, il n'adhérera par la suite à aucun parti.

C'est donc en terrain connu qu'Yves Farge arrive au lendemain du 6 juin 1944, quand il s'installe à Lyon dans un petit appartement de la rue Bugeaud qui fera office de bureau clandestin du commissariat de la République jusqu'à la Libération. Il n'est muni, pour toute instruction, que des deux notes de Michel Debré et de deux textes, l'un établi par les services de Parodi, et fort bien fait, sur les règles à suivre en matière de ravitaillement, l'autre venant dAlger et constituant un modèle d'arrêté appelé à dissoudre la Corporation paysanne (Y. Farge, op. cit., p. 54). Il est déjà entouré de plusieurs amis et collaborateurs : Marc Laurent (Martel dans la Résistance), futur secrétaire général pour la police, qu'il a connu en 1943 au CAD, Josephte Condamin, sa secrétaire particulière, Élie Péju, futur délégué aux relations avec les comités de Libération, avec lequel il fabriquait les journaux clandestins trois ans auparavant, Léon Blanchard, futur préfet de l'Ain, qui avait organisé avec lui le sabotage des usines du Creusot. S'adjoint bientôt à ce groupe Roger Guibeaud, ancien avoué, futur directeur de cabinet, choisi pour ses compétences juridiques.

Durant les trois mois qui précèdent la Libération de Lyon, Farge et ses compagnons sillonnent la région à la rencontre des comités de Libération et du maquis. Il sagit d'assurer la coordination des comités et des unités de résistance armée, de faciliter le ravitaillement et d'administrer les premiers territoires libérés. Le premier arrêté du commissaire de la République est signé en juin 1944 sur un pupitre de l'école du Cheylard en Ardèche libérée. Il interdit la publication et la vente du Petit Dauphinois, l'ancien journal de Farge. Le second arrêté est pris à Die, sous-préfecture de la Drôme, le 14 juillet et ordonne la mobilisation des hommes valides de la zone libérée. Le soir même, Farge assiste aux premiers bombardements ennemis sur la ville, prélude à la bataille du Vercors. Il est en Savoie le 15 août lorsqu'il apprend que les alliés ont débarqué en Provence et regagne Lyon, la veille de la reddition de la garnison allemande d'Annecy, le 19 août. Au même moment les Allemands commencent à exécuter les détenus de la prison du fort de Montluc à Lyon. Lun des derniers actes de résistance d'Yves Farge est une lettre adressée le 20 août au président de la Croix Rouge, au préfet régional et au consul de Suède, les priant d'annoncer aux autorités d'occupation que la vie des 752 prisonniers de la garnison d'Annecy dépend du sort des prisonniers de Montluc. Au lendemain du massacre de Saint-Genis-Laval, le 21 août, une seconde lettre est envoyée, prévenant que l'ordre d'exécution de 80 otages allemands a été donné (ces deux lettres sont publiées dans l'ouvrage de Farge, op. cit., p. 140-144. Une copie de la lettre du 20 août, datée par erreur du 20 août 1945, est conservée sous la cote 283 W 141). Le 23, les Allemands cèdent et les détenus de Montluc sont libérés.

Malgré l'existence mouvementée du commissaire de la République et de ses collaborateurs durant cette période, leur action administrative est intense, surtout dans les deux dernières semaines d'août 1944. Cette action est guidée par l'idée que l'autorité du commissaire de la République devra pouvoir s'exercer dès le premier jour de la Libération, en s'appuyant sur une organisation et des textes établis à l'avance. Nous voulions - témoigne Yves Farge (Y. Farge, op. cit., p. 152) - dès l'heure même de la Libération, donner le sentiment et la certitude que la loi était restaurée. Le cabinet se constitue progressivement, les préfets sont nommés dans les circonstances inhabituelles que relate le commissaire de la République :

Les préfets étaient en place dans la Drôme, l'Isère et l'Ain. Maillet [délégué du gouvernement provisoire] me présente un cycliste qui devait faire, me dit-il, un excellent préfet ; c'était Monjeauvis, ancien député communiste qu'on venait de tirer de quelque maquis, et qui dut remonter sur sa bicyclette pour filer à toute allure à Saint-Étienne, en emportant dans sa poche sa nomination de préfet de la Loire, signée sur un guéridon de café (Y. Farge, op. cit., p. 155).

Un comité juridique, composé de Roger Guibeaud, Georges Levasseur, professeur à la faculté de droit de Grenoble, Pierre Garraud, doyen de la faculté de droit de Lyon et Paul Vienney, avocat, prépare les premiers arrêtés qui paraîtront au Journal officiel du commissariat de la République dès le 4 septembre. La rédaction de ces textes est confiée à Roger Guibeaud dont l'art de condenser en quelques mots les décisions du cabinet, fait l'admiration de Farge.

À la Libération de Lyon, le 3 septembre 1944, l'appareil quasi gouvernemental du commissariat de la République est donc en place pour administrer la région Rhône-Alpes.

L'organisation du commissariat de la République après la Libération

La composition du cabinet du commissaire de la République a été fixée par l'arrêté n2 du 3 septembre 1944, publié au Journal officiel du commissariat du 4 septembre, lui-même créé par l'arrêté n1 du même jour. À cette date les dispositions de l'ordonnance du 3 juin 1944 était inconnues des services du commissariat. Dans un rapport du 31 octobre 1944 adressé au ministre de l'Intérieur, Yves Farge explique les principes directeurs qui ont présidé à la constitution de son cabinet :

Je suis parti du principe que chaque grande section administrative devait être politiquement chapeautée et que des rapports étroits devaient exister entre les grands organismes de la Résistance et moi.

Détenteur du pouvoir central dans ma région, je devais avoir un cabinet se rapprochant le plus possible de lorganisation gouvernementale. (voir la cote 283 W 3).

Souhaitant donner à ses principaux collaborateurs une autorité suffisante, il leur a conféré le titre de délégué, cela en contradiction avec l'ordonnance du 7 juillet 1944 qui, outre les postes de directeur et chef de cabinet, ne prévoit que le recrutement de chargés de mission spécialisés. La volonté d'Yves Farge était au contraire de s'entourer d'hommes et de femmes chargés de diriger les services régionaux correspondant sensiblement aux départements ministériels (rapport sur les dépenses engagées par le commissariat de la République du 2 septembre au 31 décembre 1944, 283 W 4) et de les rémunérer à la hauteur de leur compétence et de leurs responsabilités. Cest évidemment cet aspect financier qui, une fois les communications rétablies, a été source de conflits avec l'administration centrale. Le commissaire de la République n'a cessé de revendiquer pour ses compagnons un statut et un traitement plus avantageux. L'administration a besoin dhommes nouveaux, compétents et sûrs. Il lui appartient de les retenir (rapport du 31 octobre 1944, cité plus haut, 283 W 3).

Le cabinet, tel quil résulte de l'arrêté du 3 septembre et d'arrêtés complémentaires pris dans les deux mois suivants, est assimilable à un véritable gouvernement régional. Il est composé d'un secrétariat général, d'un secrétariat particulier, de douze délégations et de cinq directions, sans que l'on ne puisse nettement distinguer les niveaux de compétence des directeurs et des délégués. Ainsi, Yves Farge s'est fait le défenseur d'un de ces cabinets pléthoriques dénoncés par l'ordonnance du 24 octobre 1945, arguant de la nécessité de contrôler de près l'administration dont l'épuration était en cours et de mettre en place des services nouveaux imposés par les circonstances (note du 22 septembre 1944, 283 W 3).

Cependant, par un arrêté du 31 janvier 1945, le commissariat est réorganisé de façon plus conforme aux textes législatifs en vigueur. Les services du commissaire se décomposent alors de la manière suivante :

- Cabinet permanent :

- Directeur de cabinet, assisté d'un chef de cabinet, d'une secrétaire particulière et d'un chargé de mission

- Secrétaire général pour les affaires économiques

- Secrétaire général pour la police

- Délégués du commissariat :

- Communications

- Justice

- Épuration

- Santé

- Relations avec les syndicats ouvriers

- Relations avec les comités de libération

- Radiodifusion

- Délégués ministériels :

- Mémorial de l'oppression

- Information

- Aide aux forces alliées

- Service social de la présidence du Gouvernement

- Comité juridique composé de quatre membres

On constate une diminution du nombre des délégués attachés directement au commissaire, plusieurs d'entre eux étant désormais placés sous la tutelle de l'administration centrale. Un dernier arrêté du 1er juillet 1945 réduit leur effectif à cinq par la réunion des délégations de la justice et de l'épuration et la suppression de la délégation aux relations avec les syndicats ouvriers. Le texte ne mentionne plus les délégués ministériels qui échappent à la tutelle du commissaire et constituent des services extérieurs de l'État communiquant directement avec leurs ministères de rattachement (enquête sur les services régionaux, novembre 1945-janvier 1946, 283 W 49).

Cette réduction des effectifs du commissariat va de pair avec la limitation progressive de ses champs d'action. Le phénomène débute le 13 octobre 1944 avec la suppression des pouvoirs exceptionnels des commissaires consécutive au rétablissement des communications. Il est amplifié par la réorganisation de l'administration centrale et des services extérieurs qui retrouvent progressivement leurs domaines de compétence traditionnels.

Les champs d'action du commissariat de la République

La structure administrative du commissariat de la République et ses archives sont le reflet des missions exercées au sein de l'institution. En plus des attributions traditionnelles de coordination et de contrôle, les actions menées par le commissaire et ses collaborateurs sont dictées par les circonstances particulières de la Libération. Il s'agit, dans tous les domaines, de dresser le bilan et d'assumer les conséquences de cinq années de guerre et d'occupation. Les services spécialisés, désignés plus haut, interviennent chacun dans leur champ de compétences particulier, mais sans exclusive. En effet, la majorité des dossiers ici décrits, proviennent du commissaire de la République ou de son directeur de cabinet, même si les affaires qu'ils concernent ont pu être traitées en amont par les délégués compétents.

Les missions d'administration générale (les mots en italique correspondent aux subdivisions du sommaire du répertoire) sont assumées directement par le commissaire ou par son secrétaire général, Roger Guibeaud, supplanté lors de la réorganisation de janvier 1945 par un directeur de cabinet, Prosper Grobert. Relèvent de ce domaine l'organisation interne du commissariat, les relations avec l'administration centrale et les préfets, la préparation et la rédaction des arrêtés et la coordination des services régionaux.

S'ajoutent à ces attributions l'organisation des élections et les relations avec les collectivités locales. À cet égard, la période est marquée d'une part, par le rétablissement provisoire et l'épuration des municipalités et des conseils généraux opérés en application des ordonnances des 21 avril et 3 novembre 1944 sur lorganisation des pouvoirs publics, d'autre part, par les élections municipales, cantonales et législatives de 1945.

Les relations avec les organismes issus de la Résistance constituent un autre volet important de l'action du commissariat. Jusqu'à la réorganisation de janvier 1945, trois délégués se partageaient cette compétence : le délégué aux relations avec les comités de Libération, Élie Péju, et les délégués des Forces françaises de l'intérieur (FFI) et des Milices patriotiques. Les deux derniers n'ont pas été maintenus en raison de l'intégration des FFI à l'armée régulière et des Milices patriotiques aux services de police. En ce qui concerne les comités départementaux (CDL) et locaux (CLL) de la Libération, nous sont parvenus des dossiers provenant tant du secrétariat du commissaire que du délégué compétent. Malgré la volonté constamment manifestée par Yves Farge d'associer les comités à ses décisions, les relations furent parfois tendues, notamment avec Alban-Vistel, président du CDL du Rhône. En application de l'ordonnance du 21 avril 1944, les CDL ont été dissous et remplacés par les conseils généraux élus à l'automne 1945.

La gestion des affaires relatives aux victimes de guerre était assurée par différents services régionaux et départementaux, notamment ceux du ministère des Prisonniers, déportés et réfugiés (PDR) dont les dysfonctionnements étaient régulièrement dénoncés par Yves Farge. Cette situation l'amena à prendre lui-même en main ce dossier délicat avec l'assistance du médecin général Gabrielle, délégué à la Santé.

Au temps où l'on se débattait dans les circulaires, télégrammes et brochures contradictoires du Ministère des Prisonniers et Déportés - rapporte Yves Farge - pour savoir comment il faudrait s'y prendre afin de mieux rapatrier nos camarades délivrés, j'avais jugé nécessaire pour dissiper les fumées des plans, d'aller de la frontière suisse à Lyon, participer au voyage des rescapés. Il me fut alors possible de rectifier l'erreur, d'enregistrer la défaillance, de préciser l'imprécision; et depuis le poste frontière jusquau centre d'hébergement, je fus à même d'étudier tout ce qui était du ressort de la sécurité, de l'hygiène et de la fraternité.

J'ai plus appris en une nuit au contact des disciplines que sétaient volontairement imposées les délivrés de Dachau et de Ravensbruck, que durant ces longues et ennuyeuses séances au cours desquelles les Autorités ministérielles dictaient aux autorités régionales leur conduite. (Y. Farge, op. cit., p. 275)

Souhaitant par ailleurs solutionner le problème des spoliations, il étendit à tous les départements de la région la mission du professeur Terroine, administrateur-séquestre de l'ex-commissariat aux questions juives pour le département du Rhône (arrêté n 223 du 23 septembre 1944. Journal officiel du commissariat de la République, p. 38). En raison du succès de cette expérience régionale, celle-ci sera transposée au plan national et Terroine sera chargé en mars 1945 de la direction du service national des restitutions des biens des victimes des lois et mesures de spoliation. Une autre tâche chère au cœur de Farge était l'aide aux populations du Vercors résistant. Il constitua pour cela un comité d'aide et de reconstruction, chargé de pourvoir aux besoins de première urgence et d'établir un plan de reconstruction. Parallèlement, il chargea le docteur Pierre Mazel, professeur de médecine légale et ancien détenu de la prison de Montluc, de la création d'un service de recherche des crimes de guerre, baptisé Mémorial de l'oppression. Il s'agissait de dresser le livre jaune des atrocités commises par les forces d'occupation dans la région Rhône-Alpes (note du 22 septembre 1944, citée plus haut, 283 W 3). La première partie de ce livre jaune, relative aux départements du Rhône et de l'Ain a été publiée dès 1945 (Mémorial de l'oppression, région Rhône-Alpes, fascicule n 1, Lyon, Giraud-Rivoire, 1945). Ce service, qui constituait à sa création une délégation du commissariat a été érigé par la suite en service extérieur du ministère de la Justice sous la dénomination de délégation régionale du service de recherche des crimes de guerre ennemis. Ses archives sont aujourdhui conservées aux Archives départementales du Rhône.

L'épuration était évidemment au centre des préoccupations du commissaire de la République et de ses collaborateurs. La politique générale d'Yves Farge en la matière se voulait fondée sur un principe de justice et d'équité. Dans un discours qu'il prononça place Bellecour, un mois après la Libération (Y. Farge, op. cit., p. 226), il manifesta sa volonté de réprimer en priorité les hauts responsables de la collaboration et de montrer plus d'indulgence envers les lampistes:

Il faut que l'on sache que si nous nous sommes montrés implacables pour les miliciens adultes ; que si nous avons toujours considéré que le fait d'avoir un passé militaire honorable et parfois glorieux ne pouvait être qu'une circonstance aggravante quand les décorations restaient accrochées sur la poitrine dun traître &[], nous nous sommes penchés avec plus de mansuétude sur un seul dossier, le dossier du lampiste.

Car nous pensons que si nous voulons aller au fond de l'épuration, c'est au sommet de la hiérarchie quil faut porter le fer. &[]

L'épuration doit avoir des bornes, et dans le temps et dans sa notion même. Sinon un pur trouve toujours un plus pur qui l'épure et l'on n'en aura jamais fini.

Les procédures mises en œuvre pour la répression des faits de collaboration et des activités antinationales - appellation officielle de l'épuration - faisaient intervenir l'ensemble des autorités civiles et militaires de la région En premier lieu, les services de police coordonnés par le secrétaire général, mènent des enquêtes, établissent les listes de suspects et procèdent aux arrestations. Ils sont assistés dans ces missions par les autorités militaires, les FFI ou les milices patriotiques. Les préfets procèdent aux internements administratifs. Les comités de Libération transmettent leurs avis par le biais de leurs commissions d'épuration. Les services spécialisés du commissariat sont également amenés à intervenir au titre de l'épuration administrative ou économique. Le délégué à l'épuration, Me Paul Vienney, avocat à la cour d'appel de Paris, est ensuite chargé d'examiner toutes les propositions avant leur transmission aux préfets et au parquet. Il est assisté par le service régional de centralisation des renseignements concernant l'épuration créé par un arrêté d'Yves Farge du 30 octobre 1944 (les dossiers individuels constitués par ce service ne sont pas conservés dans ce versement, mais des chemises vides pré-imprimées à son en-tête et réutilisées à dautres fins attestent de leur existence).

La phase judiciaire de l'épuration est assurée dans les premiers temps par les cours martiales instituées par un arrêté du commissaire de la République du 3 septembre 1944. La composition de celle du Rhône est fixée par un autre arrêté du 8 septembre et tient sa première séance dès le lendemain. Jusquau 5 octobre, date de sa suppression, elle a prononcé 43 condamnations : 28 à mort dont deux commuées en travaux forcés par Yves Farge et 15 à des peines de prison (M. du Pouget, Les juridictions d'exception de la période de l'occupation et de la Libération à Lyon, dans Cahiers d'histoire, numéro spécial La Libération et après, t. 39, n 3-4, 1994).

Pour compléter et accélérer ce dispositif, Yves Farge institua des commissions de criblage, chargées d'effectuer un premier tri des détenus dont un grand nombre avaient été arrêtés sans quaucun dossier n'ait été constitué (rapport d'Yves Fage au ministre de l'Intérieur, 21 novembre 1944, 283W87). Ces commissions avaient pour mission de :

- constituer les dossiers des prévenus,

- vérifier les motifs d'arrestation,

- orienter les dossiers selon la nature des infractions constatées

Les trois commissions de criblage de Lyon ont été créées par arrêtés des 7, 27 septembre et 17 octobre 1944. Elles étaient respectivement chargées d'examiner les cas des détenus des prisons de Montluc, Saint-Paul et Saint-Joseph, et du fort de Vancia. Une statistique établie au 1er décembre 1944 pour le département du Rhône fait état que sur un total de 2119 personnes arrêtées, 1864 sont passées devant les commissions de criblage. Parmi ceux-là 42 détenus ont été renvoyés devant les cours martiales, 159 devant un tribunal militaire, 808 devant les cours de justice, 31 devant les juridictions de droit commun, 204 ont fait lobjet de décisions administratives d'internement et 620 ont été remis en liberté provisoire (283 W 87). Les commissions ont été dissoutes en janvier 1945.

En application de l'ordonnance du 26 juin 1944 relative à la répression des faits de collaboration, promulguée par arrêté du 29 septembre, les cours martiales ont été remplacées par les cours de justice. Celles-ci sont installées au siège de chaque cour d'appel et sont composées de sections départementales. Leur ressort, pour la région Rhône-Alpes, sétablit de la manière suivante :

- Cour de justice de Lyon: sections du Rhône, de la Loire et de l'Ain

- Cour de justice de Grenoble: sections de l'Isère et de la Drôme

- Cour de justice de Chambéry: sections de Savoie et de Haute-Savoie

- Section de l'Ardèche (ressort de la cour de justice de Nîmes)

Jusqu'au rétablissement des communications les recours en grâce aux peines prononcées par les juridictions d'exception étaient présentées au commissaire de la République. Par la suite, c'est le général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire, qui prononçait les commutations de peines par décret. Le commissaire de la République était chargé d'informer les magistrats et les préfets de ces décisions.

Les mesures administratives d'internement, d'astreinte à résidence et d'éloignement étaient prises par les préfets. En application de l'ordonnance du 4 octobre 1944, les arrêtés étaient vérifiés par des commissions départementales, sur les avis desquelles le commissaire de la République statuait. Les arrêtés ainsi rendus n'étaient cependant pas publiés au Journal officiel du Commissariat de la République.

Toutes les sanctions judiciaires ou administratives, prises au titre de l'épuration pouvaient s'accompagner de la mise en administration-séquestre des biens des intéressés. Un arrêté du commissaire de la République du 3 septembre 1944 précise que cette mesure était applicable aux biens de tout individu suspendu de ses fonctions, arrêté ou sur le coup d'un mandat d'amener, condamné pénal, interné administrativement. En vertu d'un arrêté complémentaire du 16 septembre 1944, la procédure est étendue aux personnes morales dont l'un des dirigeants responsables depuis le 16 juin 1940 se trouve dans une des situations prévues par l'arrêté précédent. C'est ainsi que certains organismes publics comme le commissariat aux questions juives ou les chantiers de jeunesse ont été confiés à des administrateurs-séquestre chargés de leur liquidation. La mesure a également été appliquée aux entreprises privées au titre de l'épuration économique. Ce moyen a été plusieurs fois utilisé par Yves Farge, tant pour contribuer à la reconstruction économique de la région, que pour tenter dans ces entreprises une expérience d'autogestion. Ce fut le cas notamment de la société des automobiles Berliet, mise en administration-séquestre par arrêté du 5 septembre 1944. Nous décidâmes, avec mes collaborateurs - rapporte Farge - de tenter la première expérience de démocratie ouvrière au sein d'une entreprise industrielle (Y. Farge, op. cit., p.262). Cette initiative est à rapprocher de celle de Raymond Aubrac, commissaire régional de la République à Marseille (R. Aubrac, Où la mémoire s'attarde, Paris, Odile Jacob, 1996, 2000, p. 171-180). Dans leurs souvenirs, les deux hommes rapportent le succès qu'ils ont rencontré et la satisfaction qu'ils ont éprouvée en menant cette politique économique originale.

Le domaine de la justice, très voisin de celui de l'épuration relevait, jusqu'à la réorganisation de janvier 1945, de deux délégués. Pierre Garraud, doyen de la faculté de droit de Lyon, délégué à la justice civile et le général Doyen, délégué à la justice militaire veillent à l'épuration de la magistrature, à la mise en place des textes nouveaux et au bon fonctionnement de l'appareil judiciaire (note du 22 septembre 1944, 283 W 3). L'arrêté de janvier 1945 ne mentionne plus le délégué militaire et celui de juillet enregistre la fusion des délégations de l'épuration et de la justice. Le comité juridique, créé avant la Libération, était un organe de conseil, maintenu jusqu'en novembre 1945. Les relations avec l'administration pénitentiaire étaient assurées par le secrétariat du commissaire.

Les services de police étaient placés sous les ordres du secrétaire général pour la police, Marc Laurent. Celui-ci assurait la coordination des opérations et informait le commissaire de toutes les affaires relatives à la sécurité publique. Dans ce domaine plus que tout autre, l'épuration tient une place primordiale : épuration de la police de Vichy, enquêtes et arrestations effectuées au titre de l'épuration en général, répression de l'épuration sauvage et des attentats. Les missions de surveillance de la population étaient assumées par les services des renseignements généraux et des contrôles techniques. Ce dernier transmettait au commissariat tous les documents résultant de son activité : transcriptions de conversations téléphoniques, copies de lettres et de télégrammes, rapports de synthèse.

La gendarmerie rendait également compte de ses activités, et particulièrement des opérations de répression menées dans les Alpes contre des groupes incontrôlés de résistants armés. Les commandants des légions XIV et XIV bis (Lyon et Grenoble) transmettaient au commissaire de la République des rapports périodiques sur l'état d'esprit des populations.

Les affaires militaires n'étaient pas suivies par un délégué particulier. Cependant le colonel Descours, gouverneur militaire de la XIVe région militaire et le commissaire de la République entretenaient une correspondance très régulière, par laquelle ils se tenaient réciproquement informés de toutes les affaires intéressant la sécurité intérieure et extérieure de la région.

La santé publique constituait un enjeu important de la politique du commissaire de la République dans une région qui avait beaucoup souffert de la guerre et qui accueillait un nombre important de réfugiés et de soldats dans ses hôpitaux. Le médecin général Gabrielle, délégué à la santé, était assisté du professeur Pierre Mallet-Guy, chargé de la direction et coordination des services hospitaliers civils et militaires. Ils exerçaient un contrôle sur les services de santé civils et militaires, les établissements hospitaliers et les professions médicales. Les questions d'assistance et d'hygiène relevaient également de leur compétence, notamment en ce qui concerne l'enfance qui préoccupait particulièrement Yves Farge.

L'assistance et les relations avec les œuvres sociales étaient gérées par deux services distincts aux compétences voisines : la délégation aux œuvres sociales et le service social. La délégation aux œuvres sociales, dirigée par Germaine Ribière, était particulièrement chargée de la coordination des missions d'assistance envers les populations en difficulté. Les secours aux habitants des régions sinistrées comme le Vercors constituaient une des actions prioritaires du commissariat dans ce domaine. La création des villages d'enfants fut également une entreprise importante, marquée par l'investissement personnel du commissaire de la République. Imaginés par Yves Farge dès avant la Libération de Lyon, les villages avaient pour objet de grouper hors des centres urbains les enfants déficients ou victimes de guerre et d'assurer leur éducation dans les meilleures conditions matérielles et morales (statuts de lœuvre des villages denfants, 283 W 153). Le projet prit forme à l'automne 1944 et, dès la fin de l'année, 1200 enfants étaient installés dans les hôtels et chalets réquisitionnés de Megève et Villard-de-Lans. Dans un rapport adressé au ministre de l'Économie nationale le 30 décembre 1944 (283 W 153), Yves Farge explique les raisons qui l'ont amené à choisir Megève pour installer le premier village :

Megève a été pendant trois ans la ville où miliciens, officiers allemands représentants d'un monde faisandé, se sont rencontrés pour mener une existence qui se traduit encore par des prix de repas à 500 francs et des litres de lait à 60 francs&[].

Pour le bon équilibre et le moral de la Nation, il fallait mettre un terme au scandale de Megève. D'accord avec les hautes autorités universitaires de notre région, nous avons décidé de placer dans les hôtels de Megève les enfants déficients de nos écoles primaires choisis après un examen médical rigoureux.

Le projet rejoignait donc trois préoccupations importantes du commissaire : l'assistance à l'enfance, l'épuration et la lutte contre le marché noir. La gestion matérielle des centres était au départ assurée par la délégation aux œuvres sociales du commissariat de la République et la direction pédagogique par l'inspection académique. En février 1945, les villages prirent un statut associatif sous la dénomination dŒuvre des villages denfants et écoles de plein air, placée sous le haut patronage d'Yves Farge dont les successeurs au commissariat de la République continuèrent d'assurer la présidence jusqu'en mars 1946.

Le service social du commissariat de la République, rattaché à la délégation à la santé, était dirigé depuis mai 1945 par Melle Gaspard, assistante sociale. Les deux missions principales de cette entité était la coordination des actions des œuvres sociales et l'instruction des demandes de secours transmises par le cabinet du général de Gaulle.

L'économie relevait de la compétence du professeur Georges Levasseur, secrétaire général aux affaires économiques. Les problèmes cruciaux de la période étaient évidemment le ravitaillement et le marché noir. En matière de ravitaillement et de contrôle des prix, Yves Farge est encore à l'origine d'une initiative originale : la commission régionale de régulation des prix des fruits et légumes. Créée par arrêté du 23 mai 1945, elle avait pour but d'assurer tant à l'achat qu'à la vente, un prix normal des denrées et produits de première nécessité (Journal officiel du commissariat de la République, arrêté n 1056, p. 470, 283 W 36). Elle fonctionnait comme une coopérative d'achat. Les fruits et légumes étaient achetés aux producteurs à des prix fixés en accord avec eux, transportés par les camions du Ravitaillement général et revendus à Lyon dans des magasins témoins et sur les marchés. Cette expérience de vente directe du producteur au consommateur est caractéristique des orientations économiques d'Yves Farge, au même titre que celle tentée aux usines Berliet. La répression des infractions économiques et du marché noir étaient à la charge des comités départementaux de confiscations des profits illicites, institués par l'ordonnance du 18 octobre 1944. Les comités, les préfets et le directeur régional du contrôle économique tenaient le commissaire informé des mesures prises pour lutter contre le marché noir. Le service régional de la guerre économique et du blocus, créé par arrêté du 23 septembre 1944, était quant à lui chargé d'appliquer des textes relatifs aux biens ennemis et aux rapports économiques avec l'ennemi, d'organiser la recherche et l'identification des biens spoliés et de coordonner les mesures de séquestre. Il a été supprimé sur ordre du ministre des finances avant mai 1945.

Dans le domaine du travail, les actions du commissariat de la République étaient orientées sur deux axes principaux, l'épuration et la liquidation des organismes de Vichy comme le STO ou la Corporation paysanne d'une part, la reconstitution des syndicats ouvriers et agricoles, d'autre part. Les relations avec les syndicats ouvriers étaient assurées par Marcel Dedieu, secrétaire de la Fédération des transports. Cette délégation a été supprimée lors de la réorganisation du cabinet du 1er juillet 1945.

Les transports routiers, ferroviaires et fluviaux relevaient de la compétence de l'inspecteur général des ponts et chaussées Gex, d'abord directeur régional, puis délégué des communications lors de la réorganisation de janvier 1945. Selon les termes dun rapport du 22 septembre 1944 (283 W 3), c'est avec la même volonté d'avoir une vue densemble sur une région actuellement morcelée par les destructions, que le Commissaire de la République a chargé M. Gex, Inspecteur des Ponts et Chaussées, de chapeauter à la fois le service des Ponts et d'assurer les liaisons voulues avec les Alliés, pour les reconstructions nécessaires. À ces tâches s'ajoutaient la gestion des réquisitions et la police de la circulation. En matière de transports en commun, la période est marquée par un conflit syndical à la Compagnie des omnibus et Tramways de Lyon.

En matière de tourisme et de presse les actions du commissariat paraissent avoir été limitées. Cest tout au moins ce que laisse deviner le faible volume des papiers concernant ces sujets.

Les relations diplomatiques ont eu pour principaux objets la réouverture des postes consulaires et la gestion des affaires relatives aux ressortissants étrangers.

Enfin, les relations interalliées, étaient assurées dans un premier temps par Raoul Blanchard, professeur à la faculté des lettres de Grenoble, puis par Noël Monod à partir du 17 octobre 1944. La présence des autorités alliées, civiles et militaires, impliquait que de nombreuses affaires soient instruites en liaison avec elles. C'était la vocation de cette délégation dont les archives reflètent la multiplicité des actions. Son rôle d'intermédiaire entre les alliés, d'une part, et la population et les autorités françaises, d'autre part, explique que ses interventions relèvent de l'ensemble des champs de compétence du commissariat de la République.

Histoire de la conservation

Ce versement effectué par la préfecture du Rhône en 1963 rassemble les archives produites par le commissariat régional de la République entre la libération de Lyon, le 3 septembre 1944, et la suppression de l'institution ordonnée par la loi du 26 mars 1946. Incomplet et lacunaire, le fonds du commissariat de la République est très imbriqué à celui du cabinet du préfet du Rhône qui en a hérité. Les deux fonds proviennent en effet de deux institutions aux attributions voisines, installées en partie dans les mêmes locaux et dirigées, après septembre 1945, par la même personne. En outre, de par la dévolution aux préfets des attributions des commissaires de la République ordonnée par un décret du 30 avril 1946, l'instruction de nombreux dossiers ouverts au commissariat a été poursuivie par le cabinet du préfet, dans le fonds duquel ils se trouvent naturellement. Il reste que l'ensemble, qui représente dix mètres linéaires, constitue une source importante pour l'histoire de la Libération dans la région Rhône-Alpes.

Modalités d'entrées

Versement effectué par la préfecture du Rhône en 1963.

Présentation du contenu

Ce versement effectué par la préfecture du Rhône en 1963 rassemble les archives produites par le commissariat régional de la République entre la libération de Lyon, le 3 septembre 1944, et la suppression de l'institution ordonnée par la loi du 26 mars 1946.

L'ensemble est largement dominé par la personnalité d'Yves Farge, en poste jusqu'au 15 septembre 1945, et de l'administration duquel datent la plus grande partie des documents ici décrits. Après sa démission, l'intérim est assuré jusqu'au 25 janvier 1946 par le préfet du Rhône Henri Longchambon, puis par Jean Rigade, secrétaire général de la préfecture et préfet par intérim.

Incomplet et lacunaire, le fonds du commissariat de la République est très imbriqué à celui du cabinet du préfet du Rhône qui en a hérité. Les deux fonds proviennent en effet de deux institutions aux attributions voisines, installées en partie dans les mêmes locaux et dirigées, après septembre 1945, par la même personne. En outre, de par la dévolution aux préfets des attributions des commissaires de la République ordonnée par un décret du 30 avril 1946, l'instruction de nombreux dossiers ouverts au commissariat a été poursuivie par le cabinet du préfet, dans le fonds duquel ils se trouvent naturellement. C'est le cas notamment de la majeure partie des dossiers individuels d'épuration, conservés dans le versement 668 W.

Les archives ici répertoriées ne reflètent donc qu'une partie des actions menées par le commissaire de la République et les services qui lui étaient directement rattachés. De ces derniers, ne sont représentées dans ce versement que les archives, souvent très lacunaires, des délégations aux relations avec les comités de Libération, à l'épuration, à la santé, aux œuvres sociales et aux relations interalliées.

Il reste que l'ensemble, qui représente dix mètres linéaires, constitue une source importante pour l'histoire de la Libération dans la région Rhône-Alpes.

Évaluation, tris et éliminations, sort final

En vertu des instructions de la direction des Archives de France relatives aux fonds d'archives de la Seconde Guerre Mondiale, aucune élimination n'a été effectuée. Certains dossiers isolés provenant du cabinet du préfet du Rhône ont été extraits du fonds, puis rassemblés et répertoriés sous le numéro de versement 3764 W.

Mode de classement

Le plan de classement établi tente de refléter la structure administrative de l'institution. Les dossiers de caractère général ont été décrits en tête du répertoire sous les rubriques :

- Administration générale,

- Élections et collectivités locales.

Viennent ensuite les parties du fonds résultant des actions imposées par les circonstances particulières de la période :

- Résistance et comités de Libération,

- Victimes de guerre,

- Épuration.

Les domaines de compétence permanents de l'administration préfectorale ont été répartis en trois groupes. Les affaires relatives à la justice et à la sécurité sont représentées dans les rubriques :

- Justice et administration pénitentiaire,

- Police et gendarmerie,

- Affaires militaires.

La santé publique et l'assistance apparaissent sous les intitulés :

- Santé,

- Assistance et œuvres sociales.

Sont ensuite traités les thèmes économiques et sociaux :

- Économie,

- Travail,

- Transports,

- Tourisme,

- Presse.

La partie intitulée Relations diplomatiques et interalliées, bien que spécifique à la période, a été placée en fin de répertoire, car, comme nous l'avons vu, les documents qu'elle contient concernent la plupart des sujets abordés dans le reste du fonds.

Dans un souci de respect interne du fonds, les dossiers produits par le commissaire de la République ou son directeur de cabinet ont été, le cas échéant, distingués de ceux provenant des délégations spécialisées. Au sein d'une même partie, les premiers ont été regroupés sous le titre Secrétariat du commissaire, et les seconds sous le nom de la délégation concernée.

Autre instrument de recherche

Documents en relation

Ne sont recensés ici que les fonds d'archives en relation directe avec les activités principales du commissaire de la République. Pour plus de détail on se reportera à La Seconde guerre mondiale ; Guide des sources conservées en France, 1944-1945, Paris, Archives nationales, 1994.

Archives départementales du Rhône

Cabinet du préfet

- 182 W : cabinet du préfet régional (1941-1944), en particulier 182 W 271-280.

- 437 W et 668 W : cabinet du préfet du Rhône (1940-1970).

Justice

- 271 W, 394 W, 1632 W et versements non cotés : cour de justice de Lyon, sections et chambres civiques du Rhône, de l'Ain et de la Loire (1944-1950).

- versement non coté : cour martiale.

- versement non coté : service de recherche des crimes de guerre, dit mémorial de l'oppression.

Services de police

- 45 W : bureau de police générale de la préfecture (1939-1960).

- 3335 W, 3460 W, 3617 W et 3649 W : service régional de police judiciaire (1937-1965).

- 3551 W et 3554 W : service des renseignements généraux (1940-**).

Archives privées

- 31 J : commission d'histoire de la guerre (1914-1998).

Archives nationales **

Ministère de l'Intérieur

- F1a 4022 : service central des commissariats de la République, Lyon (1944-1945).

- F1b I 1070 : dossier d'Yves Farge.

Archives départementales de l'Ain

- 180 W ; cabinet du préfet.

Archives départementales de l'Ardèche

- 72 W : cabinet du préfet.

Archives départementales de la Drôme

- 55 W, 348 W, 357 W, 359 W, 500 W, 678 W et 949 W : cabinet du préfet (1939-1954).

Archives départementales de l'Isère

- ** : cabinet du préfet.

- ** : cour martiale de Grenoble.

- ** : cour de justice de Grenoble, sections et chambres civiques de l'Isère, de la Drôme et des Hautes-Alpes (1944-1947).

Archives départementales de la Loire

- 2 W, 7 W, 85 W, 97 W et 726 W : cabinet du préfet.

Archives départementales de la Savoie

- 961 W, 963 W, 1372 W, 1373 W, 1375 W et 1382 W : cabinet du préfet.

- 1404 W et 1405 W : cour de justice de Chambéry, chambre civique et sections de Savoie et Haute-Savoie.

Archives départementales de Haute-Savoie

- 14 W, 15 W, 26 W, 44 W, 47 W, 49 W et 62 W : cabinet du préfet.

Bibliographie

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Mots clés matières